Je suis tombée dans les pommes
Cette année nos pommiers boudent, pas une seule pomme dans notre verger... de deux pommiers. Je m'en doutais un peu car au printemps dernier, les fleurs étaient asses rares mais quelle surprise, c'est la première fois depuis toutes ces années. Je pense que notre gros pommier celui qui donne des McIntosh a pris sa retraite puisqu'il a 35 ans de service cette année et que notre pommier nain a décidé de prendre une année sabbatique.
Question : que faire de deux pommiers sans pommes ?
Réponse : aller chercher des pommes ailleurs.
Je suis donc revenue de St-Joseph-du-Lac avec 20 livres de belles pommes rouges et dures, pas piquées par les vers et pas grignotées par les oiseaux ou les écureuils. Je voulais les montrer à nos pommiers, pour leur faire savoir qu'on peut se débrouiller sans eux mais les voisins étaient dehors et ils auraient trouvé bizarre que je fasse des menaces à nos pommiers. Sait-on jamais, ils auraient pu téléphoner et me dénoncer à la PDP(protection des pommiers).
Pour compenser mon envie d'aller secouer un peu nos pommiers, je suis donc tombée dans les pommes. Je veux dire par là que j'ai fais une croustade aux pommes, des tartes aux pommes et que je mange des pommes. C'est bon des pommes, plus que les pêches et pourtant vous savez déjà que j'aime beaucoup les pêches.
Qui voudrait d’un pommier à la retraite ?
Il est quand même reconnu dans le quartier, monsieur McIntosh, plusieurs le fréquentent régulièrement. Il reçoit quotidiennement deux geaies bleus, même ce fier pet de cardinal y passe à l’occasion, tous ses nombreux petits amis les moineaux qui lui picoraient les pommes et qui y trouvent encore refuge lorsque Kiwi part à la chasse, sans oublier ces énergumènes d’écureuils qui le chatouillent et l’excitent tellement qu’il en perd quelques feuilles à tout coup.
Ce matin, en croquant une pomme et voulant un peu narguer monsieur McIntosh que j'examinais de proche, je l'entends me murmurer d'une voix hésitante et un peu enrouillé.
''Pour une fois, tu n'as pas peur qu'une pomme te tombe sur la tête mais tu auras quand même toutes mes feuilles à ramasser bientôt.''
Surprise, je tends l'oreille et la petite voix continue en disant
'' Je me souviens lorsque tu m’as choisi, parmi des dizaines d’autres à la pépinière. Déjà tu me trouvais beau, même si j’étais un peu jeune et maigrichon. Tu m’as amené à la maison, déniché l’endroit idéal pour m’installer, donné tous les soins nécessaires pour faire une belle vie et le temps a passé. Je revois ta fierté la première année et toutes les suivantes ou tu as mangé mes pommes. Impossible d’oublier ton sourire et ton émerveillement lorsqu'à chaque printemps, soudainement, j’explosais de toutes ces belles fleurs blanches si odoriférantes. Tous les étés, à l'ombre d'un chaud soleil, tu es venue souvent te blottir sous mes branches pour faire une petite sieste, te plonger dans la lecture d'un livre, jaser avec tes invités ou simplement rêvasser. J'ai embelli ton décor depuis si longtemps que je suis sur presque toutes tes photos. Tu m'as toujours trouvé attirant, même en hiver quand j'étais recouvert de neige ou de givre tu ne pouvais pas t'empêcher de prendre des photos. Je sais bien que tu me regardes souvent de ta fenêtre de cuisine et de ta porte patio. Tu ne peux pas te passer de moi d'autant plus que je suis en plein centre de ta vision depuis si longtemps’'.
Je réalise bien vite que monsieur McIntosh me chante la pomme mais je suis faible et je m'approche pour l'enlacer et lui donner un petit bec sur le tronc avant de lui faire une toute petite caresse sur sa grosse branche, celle qui est basse, la plus basse de toutes. C'est à ce moment là que je vois le regard ahuri et gêné de mon voisin qui nous fixe. Ah non, c’est sûr je le vois dans ses yeux et dans la manière qu’il a de me regarder, il va me dénoncer à la PDP. Vite, il faut que je m’explique, mais comment expliquer un élan de tendresse à un vieux pommier qui a pris sa retraite ?
Printemps 2005. Monsieur McIntosh